La junte guinéenne a dissous plus de 50 partis politiques à la suite d’une « mission d’évaluation nationale ». Alors que la transition doit s’achever à la fin de l’année, aucune date n’a été annoncée pour l’élection présidentielle.
La mesure a des airs de grand nettoyage de la scène politique guinéenne. Depuis la publication mardi 29 octobre des résultats d’une mission d’évaluation nationale commandée par le ministère de l’administration territoriale, toutes les formations politiques sont désormais jugées non conformes par le régime du général Mamadi Doumbouya. Sur les 211 partis « examinés » entre juin et septembre, 53 ont été dissous, une autre cinquantaine suspendue pour trois mois et 67 organisations sont placées « sous observation » jusqu’au 29 janvier. Motif invoqué : de graves « manquements » à la réglementation en vigueur.
« Les partis politiques font preuve de peu de transparence sur l’origine de leurs sources de financement. Moins d’un quart des partis politiques disposant d’un agrément ont pu présenter des registres de leur financement », indique le rapport de 180 pages remis aux représentants des formations convoqués mardi matin par le ministre Ibrahima Kalil Condé. « Un tiers des partis disposant d’un agrément n’ont pas de compte bancaire, alors que 75 % des partis n’ont pas fourni de relevés bancaires ! A quelques rares exceptions, les partis politiques ne tiennent pas leur comptabilité » poursuit-il.
De son côté, le responsable du politique nationale du rassemblement du peuple de Guinée n’a pas caché ses mots après cette décision.
« On nous reproche de ne pas avoir transmis des documents sur les paiements des cotisations des membres entre 2021 et 2023. Or, durant cette période, à la suite du coup d’Etat, les droits et des partis ont été restreints. L’administration territoriale devrait surtout se concentrer sur le retour à l’ordre constitutionnel », s’insurge Marc Yombouno, responsable du bureau politique national du Rassemblement du peuple de Guinée, le parti de l’ancien président d’Alpha Condé, renversé le 5 septembre 2021 par Mamadi Doumbouya.
Cette décision, inédite depuis les premières élections démocratiques en 2010, intervient à deux mois de la fin théorique de la transition, annoncée en avril 2022. Toutefois, malgré l’imminence de l’échéance, aucune date d’élection ni de référendum constitutionnel n’a été annoncée.
Alors que les candidatures des principaux leaders des partis d’opposition, actuellement en exil, pourraient être entravées pour des raisons judiciaires ou de limite d’âge, celle de Mamadi Doumbouya pourrait devenir effective. Une éventualité dénoncée par ses adversaires, car l’officier putschiste s’était engagé après sa prise de pouvoir à ne pas briguer le fauteuil présidentiel.
« Le ciblage des partis est une manœuvre subtile de la junte militaire pour prolonger la transition au-delà des engagements pris. Ce qui risque de plonger le pays dans un chaos sans précédent », met en garde Fodé Baldé, le responsable de la cellule de communication de l’Union des forces républicaines, dont le leader, l’ancien premier ministre Sidya Touré, vit en exil.
Les formations suspendues et « sous observation » ont trois mois pour régulariser leur situation. A défaut, elles perdront leur agrément et ne pourront concourir aux futures échéances électorales. Accusé de vouloir écarter les figures de l’opposition de la course à la présidence, le gouvernement guinéen dément toute ambition en ce sens.
« Refonder les bases des institutions de notre pays heurte les intérêts de certains. Or, nous devons corriger les anomalies pour améliorer notre système politique. Aujourd’hui, on est choisi ou exclu du parti sur simple décision des leaders, or, cela bafoue les lois en vigueur. Comment voulez-vous que les instances se renouvellent si elles sont prises en otage par les dirigeants ? avance Ousmane Gaoual Diallo, le porte-parole du gouvernement. Nous ne visons pas les personnes, mais les partis qui ne respectent pas les lois. Si un leader voit son parti dissous à l’issue des trois mois, il pourra quand même se présenter en indépendant si l’avant-projet constitutionnel est adopté
Pour l’opposition et la société civile, ce passage au crible des formations politiques démontre la volonté du régime en place de restreindre l’espace démocratique. Depuis 2022, plusieurs mesures liberticides ont été adoptées. Au prétexte d’éviter les violences lors des manifestations, dont la répression a fait au moins 47 morts entre septembre 2021 et mai 2024, selon Amnesty international, celles-ci ont été interdites.
Plusieurs médias privés, critiques envers l’action gouvernementale, ont été fermés. Deux activistes, Foniké Menguè et Mamadou Billo Bah, enlevés début juillet par des hommes en tenue militaire, restent à ce jour introuvables. Récemment, le ministère de l’administration territoriale a suspendu pour quatre mois la délivrance d’agréments à toutes les ONG pour cause « d’actions présumées de trouble à l’ordre public ».
« Le gouvernement tente de nous neutraliser car continuons de dénoncer la volonté du président de la transition de se présenter à la présidentielle », dénonce Cellou Dalein Diallo, le leader de l’Union des forces démocratiques de Guinée dont le parti, principale force d’opposition, est aussi placé « sous observation ».
Le ministère lui reproche de ne pas avoir fourni les « états de comptabilité annuelle sur les trois dernières années » et l’absence de congrès interne. Des dysfonctionnements préjudiciables à la « démocratie interne » estiment les autorités de transition.